La santé mentale, future grande cause nationale : quels constats de l’état de « la jeunesse » et réalités des politiques de santé à destination de ces jeunes ?
La santé mentale des jeunes est un enjeu majeur pour notre société, qui devient de plus en plus préoccupant à l’échelle nationale. Depuis la déclaration en 2021 de la santé mentale comme « grande cause nationale », les efforts sont insuffisants pour agir face à la détresse psychologique croissante chez les jeunes. Les troubles psychiques parmi les jeunes sont en constante augmentation, et les politiques de santé publique restent insuffisantes face à la réalité de leurs besoins. Un acteur clé négligé dans ces politiques est l’Éducation nationale, alors qu’il s’agit du principal lieu de vie des jeunes.
Agravée et mise en evidence par la pandémie de COVID-19, depuis les années 2000, on constate une augmentation préoccupante des troubles dépressifs, anxieux et des comportements suicidaires chez les jeunes en France. Plusieurs études récentes (SPF, Enabee, EnCLASS, FEMF…) mettent en lumière cette tendance inquiétante :
- Premier degré : 8,3 % des élèves de 3 à 6 ans et 13 % des 6 à 11 ans présentent un trouble probable de santé mentale.
- Collège : 27 % des 11 à 15 ans déclarent ressentir des symptômes de mal-être modéré à sévère. En 2022, 53 % des collégiens présentaient des symptômes d’anxiété (+10 points par rapport à 2021) et 17 % rapportent des pensées suicidaires (+7 points par rapport à 2021).
- Lycée : 13 % des 16-18 ans rapportent avoir des symptômes dépressifs sévères. En 2022,
9,5 % présentaient des symptômes anxio-dépressifs sévères (contre 4,5 % en 2017) ; 18 % ont eu des pensées suicidaires (11 % en 2017).
- Supérieur : En 2021, 20,8 % des jeunes adultes âgés de 18 à 24 ans étaient concernés par la dépression (11,7 % en 2017) ; 7,4 % déclaraient avoir eu des pensées suicidaires en 2020 (contre 4,6 % en 2017).
- Un jeune sur cinq serait affecté par des troubles
Les recours aux soins d’urgence pour troubles de l’humeur, idées et gestes suicidaires ont fortement augmenté en 2021 et 2022, se maintiennent à un niveau élevé en 2023. Le taux de suicide chez les jeunes âgés de 15 à 24 ans est estimé à environ 2,5 décès pour 100 000 jeunes. Il s’agit de la deuxième cause de mortalité des jeunes, et il progresse.
Comme l’alerte le Haut Conseil de l’Enfance et de l’Adolescence, les enfants vont mal et sont mal soignés. Faute de moyens structurels, socio-éducatifs, préventifs et humains, des réponses médicamenteuses excessives sont employées. Aujourd’hui, en France, on administre des sédatifs à des enfants au détriment de leur santé et de leur intégration sociale.
Environ 50 % des jeunes souffrant de troubles psychiques ne consultent pas de professionnels de santé mentale, en raison de facteurs tels que le manque d’accès aux soins, la stigmatisation, la méconnaissance des ressources disponibles ou encore la « banalisation » de leurs troubles.
Ces données mettent en évidence une situation préoccupante concernant la santé mentale des élèves dans les établissements scolaires. Les facteurs tels que les conditions socio-économiques, le stress scolaire, les discriminations ou violences subies et la pression sociale ont un impact direct sur la santé mentale des jeunes. Les élèves issus de milieux sociaux défavorisés sont particulièrement vulnérables. Cela souligne l’importance de renforcer les dispositifs de soutien et d’accompagnement dans tous les établissements d’enseignement, et de sensibiliser davantage à la santé mentale des jeunes.
Or, la feuille de route santé mentale et psychiatrie 2024, élaborée par le ministère de la Santé, qui entend renforcer la prévention, la recherche, l’accès aux soins, le numérique en santé mentale et promouvoir le bien-être mental, souffre d’insuffisances. Tout d’abord, elle fait l’impasse sur l’Éducation nationale. Elle « renforce » à peine les moyens de détection et de soins, mais surtout, en dehors du renforcement des compétences psychosociales, ce plan peine à entrer dans une approche véritablement préventive de la santé mentale.
Une approche préventive et une conception globale de la santé mentale
Il ne s’agit pas uniquement de réagir face à des symptômes apparents de mal-être, mais d’adopter une véritable approche préventive en santé mentale. La prévention primaire, qui consiste à agir sur les déterminants de la santé mentale avant l’apparition des pathologies, doit devenir une priorité
dans les politiques publiques. Cela nécessite de sortir d’une approche curative de la santé (détection, diagnostic et soins) — une prévention secondaire — pour adopter une approche plus holistique, visant à créer un environnement favorable au développement harmonieux de l’individu. Les facteurs environnementaux jouent un rôle primordial dans la santé mentale des jeunes. L’école et l’université doivent devenir des lieux où les jeunes peuvent non seulement acquérir des savoirs , mais aussi développer des compétences sociales et émotionnelles. Les établissements doivent favoriser un environnement inclusif, respectueux des différences, où les jeunes peuvent se sentir écoutés, soutenus et valorisés, quel que soit leur parcours. Les personnels de l’Éducation nationale, et particulièrement les infirmières, assistantes sociales et psychologues, ont pourtant des rôles cruciaux pour une prise en charge efficace de la santé mentale des élèves et étudiant.e.s.
Les réseaux sociaux et les nouvelles technologies : un facteur aggravant des troubles psychiques Un autre facteur de perturbation majeur dans la santé mentale des jeunes est l’usage massif des téléphones portables et des réseaux sociaux. La pression de la « performance », la quête constante de validation et les phénomènes de harcèlement virtuel contribuent à l’isolement et à la détérioration de l’image de soi. Omniprésents, les mobiles freinent le développement des compétences dans les interactions interpersonnelles et sociales des jeunes.
Les jeunes sont constamment confrontés à une surabondance d’informations, souvent inquiétantes ou stressantes, et vivent dans un environnement numérique où les relations interpersonnelles sont souvent superficielles et déconnectées des réalités physiques et émotionnelles. Cette situation génère un mal-être profond, parfois difficile à exprimer et à comprendre, exacerbant les troubles de la santé mentale. Les liens de causalité entre l’usage excessif des réseaux sociaux et l’augmentation des troubles psychologiques, des troubles du comportement alimentaire et des difficultés relationnelles sont aujourd’hui de plus en plus étudiés par les chercheurs.
Il est donc nécessaire de mettre en place des actions de sensibilisation et d’éducation dès le plus jeune âge sur l’usage équilibré des technologies et des réseaux sociaux, et de fournir un soutien psychologique adapté aux jeunes qui en souffrent.
Les infirmières scolaires : des relais indispensables en santé mentale
Les infirmières de l’Éducation nationale, au sein des écoles et des établissements d’enseignement supérieur, jouent un rôle fondamental dans le repérage et le soutien des jeunes en souffrance. Ces professionnelles de santé sont souvent les premières à identifier les signes de mal-être psychologique chez les jeunes, et elles ont une capacité unique à établir un lien de confiance avec eux.
Cependant, pour exercer pleinement leur rôle de relais en santé mentale, il est crucial que ces infirmières soient formées spécifiquement aux enjeux de la santé mentale. Aujourd’hui, bien que certaines formations existent, elles ne sont pas suffisamment poussées pour répondre aux besoins particuliers de cette problématique. Il est essentiel que les infirmières scolaires bénéficient d’une formation spécialisée qui leur permette non seulement de repérer les troubles, mais aussi d’offrir des premières interventions adaptées et de diriger les jeunes vers des soins plus approfondis si nécessaire.
En parallèle, il est impératif de garantir un accès inconditionnel, gratuit et anonyme à la consultation infirmière dans tous les établissements scolaires. La consultation libre et gratuite, assurée par des infirmières formées spécifiquement, représente un dispositif essentiel pour les jeunes, qui doivent pouvoir s’y rendre sans avoir à justifier leur démarche. Cet accès immédiat et sans contrainte est crucial, d’autant plus que la stigmatisation de la santé mentale reste un frein majeur à la demande de soins, notamment pour les jeunes qui craignent d’être jugés.
Repenser les politiques de santé mentale des jeunes
Face à cette situation alarmante, il est impératif de repenser les politiques publiques de santé mentale des jeunes, en mettant en avant le rôle essentiel des équipes pluriprofessionnelles comme des acteurs clés de la santé des jeunes. Ces professionnel.le.s doivent disposer des moyens, de la reconnaissance et de la formation nécessaire pour être des interlocuteurs privilégiés capables de répondre aux besoins et demandes des jeunes.
En outre, un accès inconditionnel et anonyme à la consultation infirmière, gratuite et dans tous les établissements scolaires, doit être garanti, afin de permettre aux jeunes de se tourner vers un soutien de proximité sans entraves.
Enfin, une politique de prévention efficace, qui intègre les enjeux environnementaux, sociaux et
numériques dans la santé mentale des jeunes, en renforçant la capacité d’action de l’ensemble du MEN en la matière, est plus que jamais nécessaire. En agissant dès le plus jeune âge, en accompagnant les jeunes dans un environnement scolaire bienveillant et en réagissant face aux dangers des réseaux sociaux dans une approche éducative et émancipatrice, nous pouvons espérer freiner l’augmentation des troubles psychologiques et favoriser un développement plus serein des générations futures. L’angle sécuritaire, strictement autoritaire, basé sur l’interdit ou la responsabilisation individuelle, semble contre-productif.
Saphia Guereschi
Secrétaire générale SNICS-FSU Paris, le 25 Avril 2025